Automne, hiver 1971
Moulin de Valécourt, Montjavoult.
Juste un café qui fait épicerie, restaurant, essence.
Pendant la période de la chasse le patron accrochait le gibier à faisander dans les toilettes.
Quelques maisons.
Je vous parle d'un homme hors du commun comme vous n'en connaitrez jamais.
Né dans les années 20, anarchiste, anticlérical .
Parents bourgeoisie, cadre de Saumur, donc excellent cavalier.
Ami de longue date de mon père et de Léo Ferré.
Une vie de bohèmien, tellement de domiciles, du Vésinet au Havre, de Saint-Mandé à Monaco, de maison en verdine.
Une femme Susie, deux enfants : une fille, un garçon.
Homme des animaux.
Internet reproduit sur lui des articles "Un dompteur repenti".
Mon père et Bouglione
C'est vrai.
Les temps changent, les mentalités aussi.
Jeune il part par le premier bateau quittant le Havre pour l'Afrique.
Dresseur d'ours, de cacatoès, de loups blancs, de panthères noires, de lions, de singes , de chien : PAN ! et tu fais le mort.
Pour le cinéma, les zoo, les cirques, les music-hall, les clips avec des chanteurs...
Beaucoup d'artistes viennent le voir : Pierre Richard, Françoise Hardy, François Chatelard, Valérie Lagrange...
Après les spectacles au Lido il promène sa panthère au bois de Boulogne.
Il garde un temps Pépée la petite chimpanzé de Léo Ferré et les chiens de Gaston Deferre Maire de Marseille.
Mais aussi il accueille tous les laissés-pour-compte, toutes ces bêtes jetées par dessus la barrière de la ferme, ils savaient bien les salauds que Paul va les garder.
Comme ce couple tenancier de bar de nuit, "Poker and Co" à Paris qui a bien rit et fait rigoler tous ses clients durant des années à jouer et faire boire Gildas un des chimpanzés et qui d'un seul coup d'un seul est terrorisé parcequ'il devient agressif.
Hé oui ! il a sept ans Gildas et ses couilles sont descendues.
Abandon vite !
Je connais Paul Leroyer depuis mon enfance, voir ma page :
Christian Leroyer, enfant de la balle du 27 mai 2005.
Fin de l'année 1971.
Je reviens chez lui m'abriter.
Fatiguée de Paris.
Christian est mort.
" Les hommes ne valent pas un quart d'un poil du cul de mon chien" dixit Paul.
La grande maison, les écuries, les cages, la mare, la cressonnière, immense propriété.
A la place de la cressonnière il veut faire un élevage de truites, mais non, car le terrain est en pente et "avec tous les cons dans les champs au-dessus qui mettent des engrais chimiques, l'eau de pluie qui ruisselle ira directement dans les bassins".
Dans un grande cage en rotonde Reine la guéparde.
Elle aussi ramenée d'Afrique par un couple qui vit en appartement et qui un jour n'en a plus voulu.
Des étages à Paris, vie sans bouger, et Reine bloquée de l'arrière-train.
Je vais la voir, la caresser, elle ronronne comme un gros chat, des coups de langue si râpeuse.
Elle ne sait évidemment pas tuer ses proies.
Nous partons en voiture Paul et moi pour un élevage de poules en batterie, là aussi elles crèvent, fixées au sol toute la vie.
Et tout près un trou dans le sol où sont entassés les cadavres.
mais certaines ne sont pas mortes.
Avec nous dans la voiture il y a Chiftir, argot de chiffonnier, Paul le laisse sortir de la voiture, et ce petit chien fonce dans le sol pour chasser les rats qui seraient en train de croquer les poules.
Quand nous sommes certains que les rats sont partis, dans des grands sacs nous mettons les poules mortes.
Un jour je rentre dans la cage de Reine avec deux poules à la main et une d'elles est encore à moitié vivante.
Reine, guéparde de la Savane, a la terreur de sa vie.
Le poil hérissé, grondante, reculant au plus loin.
Je prends la poule par le cou, tête en bas et une torsion.
La poule est morte.
Reine peut manger tranquille.
Et puis les abattoirs de Beauvais ou Gisors je ne sais plus.
Récupération de carcasses pour la lionne et la hyène.
D'abord mange la lionne
et puis la hyène ce qui reste de la carcasse.
C'est la nature.
Une nuit la hyène s'est échappé.
Pauvre ferme délabrée, les fonds manquent.
Au matin un fermier téléphone :
"Paul, vous n'auriez pas par hasard perdu un de vos chiens, j'en ai entendu un cette nuit dans la cour de ma ferme".
Parti à la recherche de la hyène.
Retrouvée.
Mais à la tombée du jour dans la campagne du Vexin, quand vous entendez la lionne et la hyène hurlez... c'est comme cela en Afrique quand vient la nuit.
C'est là que j'ai compris pourquoi il ne faut jamais dormir au coucher du soleil.
Comme les fauves.
A côté de la cage de la lionne, une écurie pour Gypsie l'ânesse.
Un matin Paul ouvre le battant supérieure de l'ânesse et se trouve face à face avec la lionne, elle est là en liberté.
Elle a défoncé les grillages et sauté sur l'ânesse.
Pendant une semaine elle chiera noir.
Et la carcasse ira bien sur à la hyène.
Il faut construire une singerie.
Je demande à deux amis parisiens, deux frères Marc et Dominique rencontrés place du Tertre, ils doivent encore s'en souvenir, de venir donner un coup de main : maçonnerie et vie trépidante.
Zoé l'émeu en liberté rode autour de nous, avale des grands clous, des boites d'allumettes et soudain à vingt mètres de nous quatre, la lionne en liberté.
Elle a défoncé la cage.
Je me demande encore aujourd'hui comment l'un de nous n'a pas été attaqué.
Chacun prend au plus près de lui un moyen de protection : fourche, planche et Paul son ton de dresseur et avec autorité et après quelques vingt longues minutes, avec la peur qu'elle quitte la propriété, remonte le ruisseau et disparaisse dans la nature Paul réussi à la guider et la rentrer dans sa cage.
Consolidée bien sûr dés le jour même.
La panthère noire, yeux si verts, assise en haut d'un tabouret et la tête de Paul dans sa gueule, reste d'un numéro de cirque.
Et puis il donne son biberon à l'ours devant des enfants médusés.
Il parle des nounours et des griffes des ours comme de dangeureux grands couteaux.
Il faut bien faire rentrer un peu d'argent.
Il sera un jour attaqué et blessé, mais ne compter sur lui pour se soinger.
Dans la maison un pendant quelques mois vit un bébé tigre, déjà bien puissant.
Et l'ours qui vit dans sa grotte et son bassin.
Un jour en rentrant de rendre visite à son grand ami Max Libert...
Max et son guépard, lui aussi, Max et sa si belle maison creusée dans la pierre de carrière.
Donc on rentre à la ferme...
Dans une des pièces du bas de la maison où sont entreposés les si grands sacs de biscuits pour animaux, toujours ces portes comme dans les western, heureusement, car tu ouvres la moitié haute seulement, l'ours le tête dans un sac de biscuits.
Avec des bruits affolants de contentement, griffant dévorant...
Paul prend un lasso au bout d'une perche et essaye de le passer au cou de l'animal.
Il réussi, tire l'ours, mais l'ours tire de son côté et la valse "viens par ici, non je mange et je gronde" dure bien une trentaine de minutes.
Enfin l'ours regagne son domicile.
Et si je vous parlais des singes ?
D'abord y a Gildas, ça commence et c'est aussi poignant qu'une chanson de Brel.
Gildas je vous en parle plus haut.
Et Jojo, lui aussi venant de Paris, une femme qui tient un magasin "La vie claire".
Tu parles d'une idée, se faire plaisir avec un singe , enfin je pense et je veux dire plaisir de posséder un singe, pour une avant-gardiste bio de l'époque !
Elle n'en peut plus de son singe.
Abandon.
Elle vient de temps en temps, le dimanche en visites lointaines lui balancer des restes de son fond de commerce.
Et puis mon amour, ma douceur, ma beauté de Judith, une petite "laineux du Brésil" loin de sa forêt d'Amazonie.
Elle vit sur l'ile devant la maison, les cygnes noirs nagent autour.
Je suis souvent avec elle.
J'enfile des bottes traverse l'eau, elle saute sur mon cou, roucoule.
Ses yeux dorés, si ronds et interrogateurs, son pelage brun et miel à peine bouclé, si chaude, sa queue agrippée à mon bras, elle s'enroule autour de moi tête en bas.
Il me faut du temps à chaque fois pour la quitter, elle pressent tout, me mordille l'oreille, puis, plus une vrais morsure comme un baiser.
Les mandrills, culs rouges et bleus avec des crocs terrifiants.
Un aussi s'est échappé tout en haut d'un arbre un jour, peur qu'il disparaisse, qu'il nous saute dessus, et si la population...
C'est plus du Brel, c'est du Brassens.
Récupéré lui aussi au collet et hop ! dans la cage.
Les cacatoès "blanc et jaune" qui volètent dans la maison et qui tirent le canon, ça aussi un reste de cirque.
Et Coco, perroquet gris du Gabon, lui aussi récupéré, de je ne sais plus où.
Il vit sur son perchoir dans la cuisine, chante, danse, dit des insanités...
Paul qui ne supporte pas le téléphone, et qui a la télévision " la radio à images" à contrecoeur depuis qu'il vit avec Michèle dit "Oh le con" à chaque fois que le téléphone sonne.
Un soir dans un film un téléphone sonne et du fond de la cuisine on entend "Ho le con"
Coco à coeur joie.... nous fait rire.
Les chimpanzés sont fragiles des poumons, voir le climat de nos contrées !
Paul dit " Envers" et les voilà tous les deux les pieds au mur, position facile pour leur mettre des suppositoires.
Ils sortent faire les courses avec nous.
Toilette dans une bassine, couches, pull-over, salopettes et hop dans les bras.
Comme des gosses ils filent dans l'épicerie direct vers les bonbons.
Plus tard dans cette épicerie le panneau "Interdit aux chiens" sera remplacé par "Interdit aux animaux".
Nous lavons la vaisselle à l'eau froide, pas trop de détergent "ça fout le camp dans la nature".
Tout le temps passé à préparer des immenses gamelles de nourriture.
Céréales, riz, tous les légumes, fruits pain...
Et la distribution qui prend du temps.
Et ramasser la merde à la fourche, tas de fumier, changer la paille, l'eau de tout ce beau monde.
Dans le salon sur un côté du mur près de la cheminée, une grande pièce fermée par des barreaux là vivent Gildas et Jojo.
Le soir nous valsons avec eux.
Ils sont là près de nous, on se parle, on échange chacun ses considérations, ils sortent leurs fins zizis raides et rouges.
Au matin cérémonie du "Bonjour".
A tour de rôle il ramassent leurs crottes et paille mélangées et les balancent de l'autre côté de la grille, je ramasse et balance vers eux à mon tour.
Un doigt noir ongle crochu sur la tempe il me font signe que je suis folle.
Ce jeux peut prendre longtemps, tout le monde est content.
Après en paix nous prenons nos céréales et lait avec eux.
Un jour, nous trouvons l'ours mort sur son rocher.
Paul et moi dans la voiture, départ pour l'équarrisseur.
Tous les fermiers y portent leurs bêtes mortes.
Il fait gris, froid.
Au loin j'aperçois un haut monticule gris, je m'approche ce ne sont que des vers grouillants...
He oui ! des bêtes mortes se décomposent, pourrissent et finissent en asticots pour la pêche.
Nous montons au premier étage et sur une table posons l'ours.
Un grand couteau bien aiguisé, et le voilà fendu.
Une épaisse graisse blanche immaculée sous la fourrure.
Dépecé de sa peau qui est ensuite roulée dans du gros sel.
Paul l'entrepose chez lui, au grenier, comme cela pour la conserver.
Comme tous les dresseurs Paul Leroyer utilise des mots en anglais ou allemand pour la sonorité.
Des années plus tard... je vis ma vie ailleurs.
Son ami Max est mort, Paul est terriblement affecté.
Paul Leroyer est mort d'une mauvaise grippe le 2 mai 1986, incinéré et ses cendres répandues chez lui, dans le marais.
Comme me le raconte Janine, sa voisine, grande amie et confidente, l'urne contenant ses cendres tombe une première fois, puis l'emballage carton est mis dans la cheminée, un feu de cheminée se déclare.
Un homme demande : "qu'avez-vous fait ?"
C'est Paul,
et ce monsieur répond : "vous ne l'avez pas mis dans la cheminée quand même ! "
Si Paul avait pu brûler comme cela chez lui, sans s'encombrer de la loi il aurait été heureux.
Tu voulais partir en Alaska voir les ours Kodiak.
Où es-tu ?